Crimes culinaires et vie compliquée
“Ce serait grand dommage que les bienfaits de la Providence fussent gâtés par une mauvaise préparation, au point de justifier le vieux proverbe disant que, quoique ce soit Dieu qui nous donne les aliments, c’est le diable qui les cuit.”
Dictionnaire des cuisiniers.
Quelques règles simples à suivre
“Pour ma part, dit Addison, quand je vois une table richement servie, je m’imagine apercevoir la goutte et l’hydropisie, la fièvre et la paralysie, ainsi que d’autres maladies, en embuscade derrière chaque plat.”
“Composez votre repas d’un seul plat, disait un docteur célèbre. Et si vous vous en accordez un second, évitez de boire jusqu’à ce que vous ayez terminé votre repas ; abstenez-vous de toute espèce de boisson forte ; abstenez-vous aussi de toutes espèces de sauces, surtout de celles qui sont trop fortement relevées.
“Un homme ne peut devenir un glouton s’il observe ces règles si simples à suivre. Dans le premier cas, il n’aura pas une variété de mets qui flatteront son palais et l’entraîneront aux excès ; dans le second, aucun stimulant artificiel ne viendra créer en lui un faux appétit.”
Nos cuisinières sont habiles dans l’art de raccourcir la vie
Quand le Dr Abernethy, le célèbre médecin anglais, visitait ses malades riches, il avait l’habitude d’entrer à la cuisine et de toucher la main à la cuisinière en lui disant : “Je vous dois beaucoup, car votre habileté, votre génie et votre art nous fournissent, à nous médecins, les moyens de rouler carrosse. Sans vous, nous serions obligés d’aller à pied et de mourir de faim.”
Nos cuisinières sont, en réalité, habiles dans l’art de raccourcir la vie. Les êtres humains ont toujours beaucoup souffert de l’ignorance des cuisiniers et de leur propre ignorance sur les propriétés et la chimie des aliments.
Un mauvais choix dans la nourriture, et sa mauvaise préparation, voilà les auteurs responsables de bien des maux qui affligent l’humanité.
Dans la majorité des familles, le choix des aliments est laissé à des cuisinières ignorantes, qui nous servent les choses qu’elles aiment elles-mêmes, ou qu’elles ont l’habitude de préparer, et qui peuvent ne pas être du tout adaptées à notre tempérament, à notre constitution, à notre manière de vivre, à nos habitudes, ou à notre vocation.
En conséquence, non seulement notre nourriture est mal préparée, mais les aliments dont elle se compose n’ont pas la valeur qu’ils devraient avoir, et ne correspondent pas à nos besoins réels.
D’où viennent ces maux dont on ne connaît pas la raison ?
Il existe des multitudes de gens qui, sans être positivement malades, ne se portent cependant pas bien, et n’en connaissent pas la raison. Ils ont la tête lourde, ne peuvent penser clairement ; ils n’éprouvent pas ce sentiment de force, cet entrain normal qui proviennent d’une bonne santé.
Ils consultent le médecin qui déclare qu’ils n’ont pas de maladie organique, mais ne parvient pas à leur donner ce qui les affranchirait de leurs maux.
La vérité est que ces gens souffrent de l’incompatibilité des différents aliments qu’ils absorbent. Pris séparément, ils seraient tous excellents, mais pris ensemble, ils créent un antagonisme chimique nuisible.
Dans quelques cas, le mal provient de ce que les aliments ne sont pas bien préparés ; d’autres fois ces gens mangent trop, et les cellules de leur corps sont gavées d’un excès de nourriture dont leurs tissus n’ont pas besoin et qui fatigue les organes digestifs.
Quand le sang est trop riche, tous les organes se rebellent, le cerveau est lourd, la pensée difficile, et tout l’organisme n’est pas seulement surchargé, mais il est encore empoisonné par une nourriture mal digérée, mal assimilée, qui se décompose en partie dans le canal alimentaire.
Le rôle des cuisinières est plus essentiel
Le vice-président Marshall a raison lorsqu’il dit que les cuisinières ont plus d’importance pour la civilisation que les gouverneurs. Leur rôle est plus essentiel, et je crois que le temps viendra où tout ce qui affecte la santé et la destinée des êtres humains sera, plus que toute autre chose, soumis à un contrôle sévère.
Nos aliments seront choisis et préparés d’une façon scientifique, et chaque cuisinière devra posséder un certificat, tout comme les médecins doivent avoir leur diplôme pour pouvoir exercer la médecine.
Nous aurons des cuisines municipales où les aliments seront choisis et préparés de la manière la plus scientifique par des cuisinières expérimentées et instruites qui connaîtront la valeur chimique de tous les produits.
La science de la nutrition
“Dans une école de médecine, une chaire traitant de l’alimentation serait aussi importante qu’une chaire pour la thérapeutique” disait l’inspecteur sanitaire Dr Harvey W. Wiley.
En enseignant la science de la nutrition, non seulement on attirerait l’attention sur la composition générale des mets, mais aussi sur les rations nécessaires, la digestibilité des différents aliments et les principes de l’assimilation.
Combien y en a-t-il parmi nos cuisinières et nos ménagères qui connaissent aujourd’hui quelque chose de la science de la nutrition ? Combien qui sachent la chimie, l’anatomie, la physiologie des aliments ?
Combien, par exemple, qui sachent que la sage Nature place les cellules qui contiennent les saveurs les plus délicieuses et les sels les plus nourrissants, les sels qui sont la vie des tissus du corps, immédiatement sous la peau de la plupart de nos fruits, comme les pommes, les poires, les prunes, etc. ?
Combien d’entre elles réalisent que le fer et l’arsenic, si nécessaires au sang et si toniques pour le corps, sont jetés au loin avec les pelures des fruits et des légumes ?
Et comme si ces agissements n’étaient pas déjà une insulte suffisante à la sagesse de la Nature, les pommes de terre pelées, et d’autres légumes, sont fréquemment trempés pendant des heures dans de l’eau tiède, avant la cuisson, de manière à leur enlever leur saveur et leurs sels nutritifs.
La chose est poussée plus loin encore en mettant les légumes dans l’eau froide pour les amener lentement au point d’ébullition, ce qui leur nuit. Le simple fait de mettre les légumes dans l’eau bouillante empêche la déperdition de leur saveur et de leur valeur nutritive.
La même précaution doit être prise pour les viandes qu’il faut faire rôtir immédiatement, afin que se forme à leur surface, une croûte qui permettra à leur albumine de se coaguler, et empêchera que leur jus s’échappe.
Et pourtant, combien de cuisinières mettent le roast-beef ou le mouton dans un four à moitié chaud, et laissent s’échapper le meilleur de la viande par l’évaporation. La même erreur se commet envers le bouilli ; si l’on tient à conserver tous les éléments de la viande, il faut la mettre dans l’eau bouillante.
Le bouillon sera peut-être un peu moins sapide, mais la viande sera bien meilleure. Si au contraire on tient à avoir du consommé, il faut mettre la viande à l’eau froide et la laisser cuire longtemps et doucement. Le bouillon sera alors excellent, mais la viande aura perdu presque toutes ses qualités nutritives.
Ce qui vaut le mieux, c’est de mettre la viande fraîche sur un feu doux dans un réceptacle fermé, sans eau, et de la cuire ainsi dans son propre jus. Alors toute sa saveur et sa valeur nutritive, qui s’en iraient dans l’eau, sont conservées.
Les Français sont plus avancés dans l’art culinaire
Les Français sont beaucoup plus avancés dans l’art culinaire que nous Américains. Ils connaissent bien mieux que nous la chimie des aliments. Même la plus pauvre femme de la campagne semble, chez eux, avoir une connaissance intuitive de la valeur des aliments.
Elle sait comment les cuire de la façon la plus nourrissante, la plus agréable au goût et la plus économique. Qu’ils soient rôtis ou bouillis, étuvés et étouffés, rien de leurs éléments les plus importants n’est perdu par le processus de la cuisson.
La femme française sait que les pommes de terre doivent être cuites dans leur pelure, et que si elles doivent absolument être pelées, il faut les mettre dans l’eau bouillante afin qu’elles gardent leur valeur nutritive.
Il faut garder la saveur et l’apparence appétissante des aliments
Un des grands crimes culinaires que commettent les cuisinières est de détruire la saveur et l’apparence appétissante des aliments, qui sont cependant d’une importance capitale pour la sécrétion des sucs digestifs.
Quand la vue des aliments excite notre appétit, la Nature engendre une abondance de salive et d’autres sucs digestifs, mais quand nous prenons notre nourriture par devoir, sans rien qui nous tente, la Nature proteste en refusant d’élaborer ces sucs.
Elle veut que manger soit presque un acte religieux, et que nous en ayons de la joie. Quand il en est ainsi, elle aide puissamment à la digestion et à l’assimilation des aliments.
Il faut aussi préserver les aliments des odeurs et des germes nuisibles
Une autre chose de grande importance est de préserver les aliments des odeurs et des germes nuisibles. Cependant, bien peu de cuisinières connaissent les pouvoirs absorbants de certains aliments, tels que le lait et le beurre, qui prennent rapidement le goût et l’odeur des choses près desquelles ils se trouvent.
On a pu observer dans les dîners où les messieurs fumaient, que le beurre resté sur la table avait pris l’odeur et le goût du tabac.
Le poisson aussi, lorsqu’il reste ouvert dans une cuisine chaude, non seulement absorbe les fumets de ce qu’on y fait cuire, mais encore toutes sortes d’odeurs – celle des détritus, du charbon, de la vapeur, etc. – de telle sorte que son goût délicat et sa valeur nutritive sont rapidement diminués, sinon perdus.
Aucune chair ne se détériore si vite que celle du poisson. Il devrait être acheté et préparé, seulement au moment de le mettre sur le feu ou dans l’eau bouillante.
Si cela n’est pas possible, il doit être gardé à l’écart tout particulièrement des légumes, du beurre, de la crème et du lait, dans un endroit frais. Le poisson ne doit jamais être glacé, car cela lui enlève sa saveur et le dessèche.
Les viandes conservées ne sont pas bonnes pour notre organisme
Bien des gens aiment que les viandes soient conservées quelque temps avant leur cuisson, prétendant qu’elles acquièrent ainsi un goût plus agréable. C’est pourquoi, dans beaucoup d’hôtels et de restaurants, on garde dans des endroits frais les viandes et le gibier jusqu’à ce qu’ils commencent à se décomposer.
Il est vrai que, de cette façon, la viande devient plus tendre et acquiert une nouvelle saveur, mais il est positivement dangereux d’introduire dans l’organisme une nourriture qui commence à se décomposer, surtout si les organes digestifs ne sont pas en parfait état.
Du reste, ces viandes donneraient des nausées si on ne corrigeait leur odeur de décomposition par la manière de les apprêter.
C’est un crime d’enlever aux aliments les principes essentiels que le Créateur y avait renfermés pour notre bien, simplement pour les rendre un peu plus attrayants à la vue.
C’est un crime de sacrifier sa santé, son bonheur, sa vitalité, sa puissance cérébrale, son efficacité, sa force, et de ruiner ainsi sa carrière, uniquement pour donner une certaine apparence aux aliments ou y développer une saveur artificielle.
Manger devrait être une science et un art
Le temps viendra où l’État veillera à ce que les enfants, son plus précieux capital, reçoivent une instruction scientifique concernant les lois de la santé et de la nutrition.
Il est attristant de constater qu’un étudiant gradué d’une Université peut être tout à fait ignorant de ces lois, et pratiquement ignorant de la composition chimique et des vertus des aliments qu’il prend au moins 3 fois par jour.
Il apprend, pendant ses années d’études, beaucoup de choses qui ne lui serviront jamais à rien, mais en ce qui concerne la nourriture, qui sustente sa vie, il ne sait rien.
Manger devrait être une science et un art, tandis que nous mangeons au hasard, sans y penser, d’une manière anti-scientifique. Ce serait un miracle si un estomac dans lequel on a introduit toutes espèces d’aliments hétérogènes ne se révoltait pas.
Puis, après s’être ainsi gorgés, les gens absorbent une grande quantité d’eau glacée, qui retarde encore le processus de la digestion pendant au moins une demi-heure, car la digestion ne peut s’opérer tant que la température du contenu de l’estomac n’a pas celle du sang.
Souvent à l’eau glacée succède le Champagne, puis des liqueurs, et enfin du thé ou du café. Comment voulez-vous que l’estomac résiste à une telle masse, dont les trois quarts n’étaient pas nécessaires et ne font que nuire à la santé ?
En fait, le corps humain cherche à s’adapter à une manière de vivre compliquée qui va en augmentant. L’homme primitif n’aurait pu manger impunément notre nourriture moderne. Ses organes digestifs étaient accoutumés à une nourriture simple et peu variée. S’il avait été forcé de manger ce qui se consomme dans un de nos grands dîners, il serait sans doute mort quelques heures après, dans d’atroces souffrances.
Le luxe du riche fait son malheur
Les pauvres envient souvent les riches ; ils estiment qu’il n’est pas juste que ceux qui ne travaillent pas puissent vivre dans le luxe et se procurer tout ce qu’ils désirent, tandis qu’eux sont forcés de se contenter de peu.
Mais en réalité le luxe du riche fait son malheur. Souvent il mange et boit avec excès, congestionne ainsi ses organes, épaissit son sang et ruine ses organes digestifs. Les gens qui sont forcés de vivre simplement se portent infiniment mieux.
Si le pauvre estomac moderne, surchargé, pouvait monologuer à l’un de nos banquets, il dirait sans doute : “Quoi ! encore un service quand je suis déjà surchargé ! J’en ai plus que mes membranes délicates ne peuvent supporter, et demain je serai complètement malade.
“Comment se fait-il que mon maître ne puisse comprendre que mon mécanisme est extrêmement simple, et que je ne puis pas digérer, sans en souffrir, autant d’aliments pris en un seul repas, parce que ces aliments, qui me conviendraient pris séparément, se nuisent lorsqu’ils sont absorbés ensemble ?
“Et quand je suis déjà surchargé, et que je ne sais que faire de tous les matériaux dont on m’a encombré, on m’ingurgite du poivre ou d’autres condiments, et mes membranes, aussi délicates que celles de l’œil, se gorgent de sang, grâce à l’irritation qu’on leur inflige et que je puis à peine enrayer. Puis, pour augmenter encore tous mes maux, on m’ingurgite un verre d’eau glacée !
“N’est-il pas étrange que mon maître ne sache pas qu’il me faudra au moins une demi-heure pour ramener à la température du sang, – soit 37° – cette eau glacée ?
Et quand j’y suis enfin parvenu, souvent on m’ingurgite encore de la crème glacée ou, ce qui est pire, des boissons alcooliques qui épaississent mes parois et retentissent sur le système nerveux de tout le corps.
Je me verrai forcé d’expulser tout cela. Et mon maître se plaindra de ce que j’exprimerai ma détresse par une indigestion !”
Les maladies causées par une suralimentation
Est-il étonnant que nos corps se désorganisent quand nous mangeons à un seul repas assez de graisse et de viande pour nourrir suffisamment une douzaine de robustes individus !
Nous gorgeons nos organes internes par toutes sortes d’excès, puis nous recourons à des moyens artificiels, contre nature, à des drogues, qui ne peuvent s’adapter au corps humain, pour nous tirer d’affaire.
Les gens qui surchargent constamment leur estomac ne se rendent pas compte qu’ils posent les fondements d’une foule de maladies.
À certaines époques, après de grandes fêtes, certaines maladies deviennent plus fréquentes parce que les organes ont été affaiblis par les efforts qu’ils ont dû faire pour digérer la nourriture variée et excessive qui leur a été imposée, et par l’accumulation des poisons engendrés par une digestion défectueuse.
Après un repas trop copieux, on prend plus facilement froid grâce aux poisons accumulés dans l’organisme et à sa force de résistance amoindrie. L’obésité, la goutte, le diabète, l’artériosclérose sont souvent procurés par la suralimentation.
Cette dernière est encore la cause de morts prématurées dues à des maladies de cœur, surtout parmi les riches. Beaucoup d’entre eux sont constamment gorgés de nourriture, leur sang est alourdi de matériaux que les tissus ne peuvent employer, de telle sorte qu’un travail fatigant et supplémentaire est imposé au cœur qui est l’un des organes qui souffrent le plus de cet état de choses.
Les gens qui se gorgent habituellement de viande et de mets trop nourrissants ont le teint blême, ils paraissent souvent plus âgés qu’ils ne le sont. Ceci est dû aux poisons qui résultent de leur alimentation excessive et qui ne peuvent être éliminés.
Le sang et d’autres sécrétions sont souvent remplis de ces poisons. Ils se manifestent de toutes façons – symptômes bilieux, maux de tête nerveux, affaiblissement mental, indifférence, impuissance à concentrer son esprit, découragement, dépression et mélancolie. –
La sclérose du foie, dont meurent tant de personnes, et d’autres maladies, sont la conséquence d’un régime trop riche et trop compliqué.
Il ne faut pas croire que le vrai bonheur consiste à bien manger
Beaucoup de gens abrègent leur vie de plusieurs années. Ils semblent croire que le vrai bonheur consiste à bien manger, et ils font de la nourriture la principale préoccupation de leur existence.
Et, non seulement ils raccourcissent ainsi leur vie, mais, pendant qu’ils vivent, ils ne sont ni aussi bien portants, ni aussi heureux, ni aussi capables qu’ils auraient pu l’être avec une diète plus simple, mieux appropriée à leur âge, à leurs occupations et à leur tempérament.
Si tous étaient nourris scientifiquement avec des aliments bien mûrs, bien préparés et bien cuits, par des gens experts dans l’art culinaire, non seulement la longévité serait accrue, mais une bonne partie des maux physiques disparaîtraient.